Introduction
Je suis né au milieu des années 1960 et, depuis que j’ai 9 ans, c’est «la crise ». Mes parents étaient nés « pendant la guerre », donc, forcément, tout irait mieux pour nous, ma génération. Et, en effet, jusqu’à 9 ans tout allait bien. Je me disais que la guerre, c’était avant, c’était ailleurs, et puis il y a eu le premier « choc pétrolier » en 1973 et le début de « la crise ». Je ne l’ai pas vraiment ressentie à l’époque, parce que j’ai suivi l’ascension sociale de mes parents, passant de la cité HLM où nous habitions à la zone pavillonnaire en bordure de celle-ci, de sorte que j’ai gardé les mêmes fréquentations et copains. Le premier choc pétrolier désigne l’augmentation massive du prix du pétrole due au fait que les États-Unis avaient passé leur pic de production en 1971, ce qui fut suivi de l’abandon des Accords de Bretton Woods et d’une dévaluation du dollar.
Les pays producteurs de pétrole ont alors surréagi. Tout cela m’était bien égal alors, mais je sais désormais que ce qui s’est joué à ce moment-là conditionne largement la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. C’est à partir de cette époque que se sont mis en place les outils qui ont conduit à la toute-puissance de la finance, dans le cadre d’un système centré sur la valeur du dollar américain et justifiant à ce titre la géopolitique de la « première puissance mondiale ». Résultat, c’est toujours la crise, sauf qu’aujourd’hui la crise est à la fois financière, économique, écologique, sociale, morale, spirituelle, et on peut allonger la liste sans difficulté. Cherchez l’erreur. Le plus beau est que personne n’est responsable de rien. Alors même que tous les voyants sont au rouge écarlate, les politiques qui ont conduit à la situation que nous vivons sont toujours en application, selon l’adage fou qui consiste à prescrire toujours plus de la même chose. Nous verrons que la raison à cette absence de remise en cause est que le dogme ultralibéral a réussi à imposer l’idée qu’« il n’y a pas d’alternative ». Pourtant, les solutions issues du passé semblent parfaitement inopérantes. C’est donc qu’il faut inventer de l’entièrement nouveau.
En réalité, il n’y a qu’une seule crise, c’est celle du sens, et elle est fondamentalement spirituelle. De fait, nous sommes en plein contresens et nous vivons doublement contre-nature : à la fois contre la nature, que nous décimons et pillons allègrement, et contre notre propre nature humaine.
La nature de l’homme est d’être un loup pour l’homme, affirment les cyniques et les ignorants, qui sont souvent les mêmes, autrement dit un animal sauvage. C’est à la fois faux et extrêmement désobligeant pour ce splendide animal qui sait au contraire faire preuve d’une solidarité à toute épreuve. L’homme est un loup pour l’homme seulement et précisément quand il méconnaît sa nature véritable. Car notre nature est d’être des êtres spirituels non pas « jetés » dans le monde mais reliés à tout ce qui existe via les dimensions invisibles du réel, au-delà des sens, et notre tâche est de redécouvrir et de vivre pleinement cette réalité.
Une scène du film The Big Short : Le Casse du siècle illustre merveilleusement le contresens dans lequel nous sommes plongés. Adapté du récit ultraréaliste de Michael Lewis, le film raconte la façon dont quelques individus ont anticipé la « crise des subprimes » de 2007 et ont gagné des fortunes colossales grâce à certains produits dérivés financiers. La scène se déroule à Las Vegas lors d’un forum consacré au marché hypothécaire. Deux jeunes investisseurs ont convaincu un ancien trader de les aider à investir dans les fameux Credit Default Swap (CDS). Les trois se rendent à Las Vegas et comprennent que l’absence totale de régulation du marché des titres adossés à des hypothèques leur donne les coudées franches.
En pariant sur l’effondrement du marché immobilier et en se «couvrant» avec les CDS, ils vont faire une énorme « culbute ». Alors qu’ils réalisent l’ampleur de leur coup en déambulant dans les couloirs du casino de Las Vegas où se tient le forum, les deux jeunes sautent littéralement au plafond, mais leur enthousiasme est immédiatement douché par l’ancien trader qui les accompagne (incarné par Brad Pitt, également coproducteur du film). Celui-ci leur rappelle en effet un petit détail : la réussite de leur plan est synonyme d’un effondrement économique dans lequel de nombreuses personnes vont perdre leur travail, leur maison, leurs biens, et même leur vie. Les deux investisseurs sont refroidis ; c’est qu’ils n’y avaient même pas pensé ! Après tout, ne sont-ils pas dans un casino ? Tout cela n’est-il pas qu’un vaste jeu ? Pris de culpabilité, les deux personnages vont tenter d’alerter leurs proches et même la presse de ce qui se trame, mais rien n’y fera, et ils deviendront en effet immensément riches… alors que des millions de personnes vont devenir immensément pauvres. Car même s’il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle, puisque l’argent peut être créé ex nihilo, il y a bien des transferts qui s’opèrent.
L’acteur Brad Pitt se donne bonne conscience à peu de frais, si l’on peut dire, en coproduisant le film et en s’attribuant ce beau rôle du type retraité de la finance à 50 ans, cynique mais pas trop, et surtout dans cette scène au cours de laquelle il incarne à la fois l’ultralucidité et la morale. Il a compris ce qui allait se passer et reproche aux jeunes « loups » de s’en réjouir. Son personnage pourrait parfaitement dire : « Ce n’est pas nous qui faisons les règles mais tâchons d’en profiter au maximum. »
…
Sommaire
Introduction………………………………………………………. 11
1e partie
Quand la réalité dépasse l’affliction
Chapitre 1 – Un monde irrationnel……………………. 27
Chapitre 2 – En quête de sens…………………………… 49
2e partie
On n’est jamais si bien asservi que par soi-même
Chapitre 3 – La spiritualité au risque de la folie………………………………………. 67
Chapitre 4 – La spiritualité au-delà des religions……………………… 85
3e partie
Dans quel état j’erre ?
Chapitre 5 – L’énigme de la conscience……………… 101
Chapitre 6 – La fin du modèle matérialiste………… 123
4e partie
Au-delà du réel
Chapitre 7 – Une réalité relativement fuyante…… 143
Chapitre 8 – Sommes-nous prisonniers du temps?…………………………………….. 155
Chapitre 9 – D’autres mondes…………………………… 167
5e partie
Pour sauver le monde : auto- et altero-philie
Chapitre 10 – Réinventer les organisations
et le vivre-ensemble…………………….. 191
Chapitre 11 – La spiritualité en action………………… 219
Chapitre 12 – La prochaine foi…………………………… 241
Conclusion………………………………………………………… 265
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