La Prochaine Foi – Pour en finir avec les croyances

Ange chevauchant sa monture. Philippe Grubert

En guise d’introduction, je vous propose cet article que j’ai écrit en 2009 pour la Revue Française de Parapsychologie, mais qui n’a jamais été publié. Je pense qu’il reste d’actualité, même si je fais référence à l’ancien pape.

 

Notre monde moderne voit se multiplier les crises, nées d’une absence cruciale d’éthique dans les relations des hommes entre eux et avec la nature. Les religions ne sont pas la solution. Figées dans leurs dogmes, elles sont au contraire une grande part du problème. Seul un progrès majeur dans la connaissance et la compréhension de la nature humaine peut faire émerger l’éthique universelle dont nous avons besoin. Les recherches en sciences psychiques, en physique et en neurosciences sont porteuses de ce progrès. Elles peuvent révéler une nature spirituelle de l’homme qui ne devra rien aux croyances, mais tout au savoir. 

Selon le pape Benoît XVI, le vrai progrès humain est celui « de la conscience morale », et les ennemis désignés sont le relativisme moral, le subjectivisme et le matérialisme scientifique.

Seul remède au relativisme éthique dont la vie, la famille et la société sont victimes, « le respect de la loi naturelle ». Qu’est-ce que cette loi naturelle ? Il s’agit de la « norme écrite par le Créateur dans le cœur de l’homme », qui lui permet de distinguer le bien du mal. Reconnaissant le progrès scientifique, le pape ajoute cependant : « Nous voyons tous les grands avantages de ce progrès, mais nous voyons toujours plus aussi les menaces d’une destruction du don de la nature par la force de notre action. Et il existe un autre danger, moins visible, mais non moins inquiétant : la méthode qui permet de connaître toujours plus les structures rationnelles de la matière nous rend toujours plus incapables de voir la source de cette rationalité, la Raison créatrice ». Ainsi, selon lui, se constitue peu à peu une « dictature du relativisme » qui ne reconnaît rien comme définitif et qui ne retient comme ultime mesure que son propre ego et ses désirs.

Ce combat du pape contre le « relativisme » porte en lui-même ses propres contradictions, car il n’a de cesse d’affirmer la supériorité du catholicisme sur les autres religions, comme il l’a fait avec l’islam lors du fameux discours de Ratisbonne. Son entourage en minimise la portée en parlant de « maladresses ». C’est là faire insulte au grand théologien qu’était Joseph Ratzinger, nommé préfet pour la congrégation de la doctrine de la foi par son prédécesseur Jean-Paul II en 1981. Les gages donnés aux catholiques traditionalistes relèvent-ils également de maladresses ? Il sait le poids des mots et choisit ses exemples historiques à dessein. In fine, le cœur de son message est que le catholicisme serait supérieur au protestantisme, au christianisme orthodoxe, à l’islam, au judaïsme, sans même parler des religions d’Asie. À cela rien d’étonnant puisqu’il « prêche pour sa paroisse » et défend une boutique devenue une immense entreprise. Pourtant, si le relativisme se trompe en affirmant que la morale et l’éthique ne se fondent pas sur un absolu transcendant, alors cet absolu concerne tous les hommes, croyants de toutes religions comme non-croyants. Si le Créateur a bien « écrit une norme dans le cœur de l’homme », il ne distingue pas entre ses créatures et n’a que faire des religions. Dès lors, aucune d’elles ne peut prétendre à un surcroît de légitimité.

Gravir le Mont Analogue vers la philosophie éternelle 

La charge anti-relativiste du pape sert au bout du compte à affirmer la supériorité du catholicisme alors qu’il s’agit là d’une position « relativiste » au sein même des religions. En effet, les religions n’ont à faire valoir que des points de vue relatifs, c’est-à-dire des croyances. Ainsi, la position du dalaï lama est beaucoup plus neutre quand il pose que les hommes devraient se contenter de la religion propre à leur culture et n’affirme jamais la primauté du bouddhisme tibétain sur une autre pratique. Si l’on reprend l’image du « Mont Analogue » de René Daumal, les religions sont les différentes faces qui permettent de gravir la montagne de la sagesse. Plus on s’approche du sommet, et plus la distance qui sépare les faces se réduit. Si les positions des religions sont inconciliables entre elles, c’est qu’elles se trouvent encore très loin du sommet, et sur des voies elles-mêmes très éloignées les unes des autres. Or, les observateurs ont beau noter que le dialogue interreligieux n’a jamais été aussi actif qu’à notre époque, les grandes religions continuent de défendre « leur vérité » contre celle des autres, parce qu’il en va de leur pouvoir. Les religions sont dans une impasse logique et c’est la raison pour laquelle elles perdent du terrain là où le savoir progresse. Soit elles ont raison d’affirmer l’existence d’un absolu et d’une transcendance, et alors elles ont tort de ne pas s’accorder entre elles sur sa nature et les lois qui en découlent. Soit elles se trompent sur cette existence même et dès lors elles n’ont plus de raison d’être.

En outre, comment mettre en évidence l’existence de cet absolu, et la « loi naturelle » qui en découle, sans recourir à la démarche rationnelle, c’est-à-dire scientifique et philosophique ? L’objet de la science est précisément de mettre en évidence la loi naturelle, de laquelle on pourrait déduire l’existence de l’absolu, car celui-ci est directement inconnaissable par définition. Toute expérience personnelle, aussi intense soit-elle, reste subjective. Ainsi, lorsqu’il fustige le subjectivisme, Benoît XVI donne-t-il encore le bâton pastoral pour se faire battre. Le savoir est supérieur à la croyance. De fait, qu’avons-nous besoin de religion quand il existe la « philosophie éternelle » – ou philosophia perennis – qui renvoie à la connaissance supra-rationnelle, également appelée Gnose ? Au contraire des dogmes religieux, la gnose (du grec « connaissance ») repose sur un savoir, lui-même fruit d’une initiation. Or, il est bien plus facile de manipuler des croyances qu’un savoir et c’est pourquoi les « sectes » gnostiques des 1ers siècles ont été qualifiées d’hérétiques par l’Église catholique romaine. Dans les Etats-Unis du 21e siècle, des centaines d’églises ou confessions chrétiennes cohabitent avec des cultes tels que la scientologie, et toutes reposent sur des croyances qu’elles font passer pour un savoir.

L’hérésie du concordisme

Pour valider leurs croyances aux yeux des fidèles, certaines religions s’appuient sur la science. Ce « concordisme » est à l’opposé de ce que l’on peut attendre d’un dialogue rationnel entre science et foi, puisqu’il conduit aux dérives fondamentalistes telles que le créationnisme. Si la science a quelque chose à apporter à la foi, c’est en livrant la démonstration de la nature spirituelle de l’homme. Mais elle porterait alors un coup fatal aux religions en démontrant l’universalité de cette nature et par là même l’inanité des divisions religieuses. Pour cette raison, les religions se méfient autant des avancées scientifiques qui tendent à conforter le dogme matérialiste que de celles qui pointent dans l’autre direction. A l’exception notable du bouddhisme, qui encourage par exemple les recherches sur la nature de la conscience à partir des états de méditation, les religions se défient de ce qu’elles ne peuvent récupérer. Ainsi, l’essor récent des recherches sur les états modifiés de conscience à l’approche de la mort (expériences de mort imminente ou near-death experiences) ne suscite guère de commentaires de la part des autorités religieuses. Certainement parce que la plupart des témoins de telles expériences en rapportent un message spirituel universel qui, pour le coup, transcende les religions. Qui a besoin d’un prêtre, d’un pasteur ou d’un quelconque intercesseur lorsqu’il a accédé à un « ailleurs » – source d’amour inconditionnel et de sagesse infinie – sans même le rechercher et sans même, très souvent, avoir jamais adhéré à une quelconque religion ? Même silence à propos des travaux de neurologie qui montrent que l’expérience mystique profonde ne peut se réduire à une simple hallucination. La défiance des religions pour ce thème est la même que celle manifestée à l’égard des mystiques en général. Comme le montre le neuroscientifique Mario Beauregard dans son livre récent (Du cerveau à Dieu), les mystiques sont souvent des électrons libres, francs-tireurs, réformateurs, qui ne se contentent pas de la vérité révélée pour la bonne raison qu’ils sont capables d’éprouver directement la dimension sacrée de l’existence. Ils sont récupérés après coup et sanctifiés pour justifier a posteriori telle ou telle doctrine. C’est le caractère universel de leur expérience qui s’en trouve au passage perdu.

La foi soluble dans la raison ?

Outre le relativisme, l’autre ennemi désigné du pape est le matérialisme scientifique et son corollaire positiviste. Dans son discours sur la culture au collège des Bernardins à Paris, Benoît XVI a expliqué qu’une « culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. » On ne peut qu’être sensible aux arguments d’un philosophe athée comme Yvon Quiniou lorsqu’il s’insurge en expliquant que la culture scientifique n’a pu au contraire se développer qu’en s’appuyant sur une raison qui fait abstraction des croyances religieuses dans tous les domaines qu’elle a su peu à peu conquérir : la nature inanimée, le vivant, l’homme. L’Église s’est prononcée contre Galilée, contre Giordano Bruno, contre Darwin, Freud, etc. Mais Quiniou fait un raccourci volontaire en citant la phrase du pape de façon tronquée : « une culture purement positiviste serait la capitulation de la raison ». Car la phrase dans son ensemble signifie que « la question concernant Dieu » est scientifique. Concilier raison et foi reste le défi du présent, selon Benoît XVI, qui s’inscrit en cela dans les pas de Jean-Paul II. « La foi suppose la raison et la perfection, et la raison, éclairée par la foi, trouve la force pour s’élever à la connaissance de Dieu et des réalités spirituelles », explique Benoît XVI. Paraître s’opposer à la raison serait suicidaire pour un catholicisme déjà mal en point en Europe. Mais on peut objecter que la raison n’a que faire de la foi pour s’élever à la connaissance des réalités spirituelles. La raison, portée par la science et la philosophie, n’a qu’un seul objet, et cet objet est le réel. Si le réel comprend des « réalités spirituelles », qui elles-mêmes révèlent l’existence d’un absolu appelé Dieu par convention, alors ces réalités font partie de son objet sans que la foi n’intervienne. La raison sera alors amenée à révéler l’existence de ces réalités spirituelles et c’est précisément ce qu’elle semble en passe de faire avec les thèmes de recherche évoqués ci-dessus comme l’expérience de mort imminente ou la « neurothéologie ». Mais la foi n’y a pas sa place car la raison se suffit à elle-même dès lors qu’elle n’exclut rien de son champ d’investigation.

Ainsi, on peut d’un côté reprocher aux rationalistes athées de siffler « la fin de l’histoire » en affirmant l’inexistence définitive des réalités spirituelles. Mais on peut tout autant se passer de l’éclairage de la foi pour appréhender lesdites réalités, cet éclairage n’intervenant éventuellement qu’a posteriori, et sur un plan purement culturel. On a glosé sur la venue de Benoît XVI, l’intellectuel, à Lourdes, là où la vierge Marie est apparue à une jeune bergère analphabète. Mais que valent ces apparitions aux yeux de la science, de la raison ? Rien. Pas plus qu’à Medjugorje où ailleurs. Les guérisons, oui. Le bureau médical de Lourdes et la procédure mise en place pour reconnaître les guérisons inexpliquées présentent toutes les garanties requises par l’homme rationnel. Mais on n’est pas non plus tenu d’y voir des « miracles » plutôt qu’un fantastique effet placebo qui au passage illustre tout de même l’influence de l’esprit sur la matière.

Pour une révolution logique et conceptuelle

Les travaux scientifiques qui s’aventurent sur le terrain de la nature spirituelle de l’homme n’ont aucune légitimité s’ils le font au nom d’une quelconque foi religieuse. Dans le domaine des sciences psychiques, des expériences aux frontières de la mort, des expériences mystiques et spirituelles, les recherches montrent qu’il est recevable d’envisager que l’esprit, ou la conscience, n’émerge pas simplement de la complexification croissante de la matière et ne se réduise pas à celle-ci. Il semble que l’entité consciente soit capable de communiquer par des voies suprasensibles, d’accéder à une source d’information au-delà du connu, d’agir sur la matière, d’exister sans le support physique du corps, voire de survivre à son anéantissement. Ceux qui s’insurgent devant une telle hypothèse et les vertigineuses perspectives qu’elle ouvre au plan spirituel, oublient que la physique contemporaine est actuellement dans une impasse théorique qui préfigure elle aussi une révolution conceptuelle majeure. Cette révolution est à même de valider le nouveau paradigme qui se profile depuis quelques décennies, puisque les physiciens envisagent l’existence d’un au-delà de l’espace et du temps. Mettre en garde, comme le fait Benoît XVI, contre une « recherche toujours plus poussée des structures rationnelles de la matière » qui nous rendrait « incapables de voir la source de cette rationalité », c’est montrer bien peu de confiance dans la capacité des scientifiques et des philosophes à appréhender la dimension métaphysique de la connaissance toujours plus fine du réel.

Mais pour franchir ce nouveau pas, une révolution logique sera également nécessaire. Elle est appelée par de nombreux grands esprits dans des domaines divers. La logique aristotélicienne, binaire, dite du « tiers-exclu », nous enferme en effet dans des couples de contraires dont il est impossible de s’extraire. Ceux pour qui la rhétorique du bien et du mal tient lieu de programme politique utilisent ces limitations. La logique binaire – vrai ou faux – ne s’applique pourtant qu’à des événements dont le niveau de complexité est faible. On peut en effet opposer le jour et la nuit mais, vu de l’espace, le phénomène a bien une seule et même cause, en l’occurrence la rotation de la Terre sur elle-même. Le seul exemple de la dualité onde-corpuscule des particules élémentaires illustre la nécessité de s’élever au-dessus d’oppositions stériles. Ainsi le photon est à la fois « grain de lumière » et onde électromagnétique, selon la façon dont on l’observe. Il est donc les deux à la fois mais en même temps il n’est ni (seulement) l’un, ni (seulement) l’autre. Il est autre chose de plus fondamental qui peut présenter l’un ou l’autre visage.

Dans ce cadre logique réévalué, déjà proposé par le sage bouddhiste Nagarjuna au IIe siècle de notre ère, raison et foi peuvent non seulement cohabiter mais se nourrir l’une de l’autre. Il s’agit alors d’une foi qui n’est plus seulement croyance mais connaissance. Il est pour cela fondamental que les recherches sur la nature spirituelle de l’homme s’inscrivent résolument dans le champ du progrès et évitent le piège du « réenchantement du monde », porteur d’un retour à l’obscurantisme d’avant les Lumières. C’est d’une absence cruciale d’éthique que souffre notre monde actuel, qui voit les crises se multiplier dans tous les domaines (écologique, financier, énergétique, humanitaire…). Et ce n’est pas d’un progrès de la foi religieuse mais bien d’un progrès de la connaissance qu’émergera l’éthique universelle dont nous avons tant besoin. Les religions y apporteront un éclairage culturel, et la contribution de l’humanisme athée sera tout aussi légitime et nécessaire. Serons-nous capable de préserver l’humanité jusqu’à la prochaine foi ?

 

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