Faut-il croire aux miracles ?

« Je ne crois pas à cause des miracles, mais malgré les miracles ! » La boutade reste en vogue parmi les scientifiques croyants. D’abord hostile, puis circonspecte, la science est aujourd’hui plus humble face au miraculeux. Paradoxe ou signe des temps ?


Faut-il croire aux miracles ?
Que l’on parle encore de miracle au XXIe siècle, n’est-ce pas un miracle en soi ? Là où la science triomphante promettait l’éradication du surnaturel et du superstitieux, force est de constater que le miracle n’a pas cessé d’exister. Il continue d’impressionner, d’émerveiller les hommes et femmes d’aujourd’hui comme celles et ceux du temps de Jésus ou du Moyen-âge, car c’est sa fonction même. Traduit-il notre méconnaissance et notre incompréhension relative des lois de la nature, ou bien manifeste-t-il la réalité d’un ordre transcendant à celle-ci ? La question reste pleinement ouverte, et si un certain « retour du religieux », de même qu’un développement non moins spectaculaire de la « spiritualité » dans une acception large, procèdent des incertitudes et des menaces de chaos qui pèsent sur l’époque, la persistance de « l’inexpliqué » y joue aussi un grand rôle. Non seulement la science n’a pas tout expliqué mais les scientifiques qui prétendent qu’elle en est proche ne sont même plus pris au sérieux. 
 

Miracles, merveilles et prodiges
Pourtant c’était bien là son projet, puisque, « déjà au temps des Grecs, la science moderne est née d’un refus de la sacralisation du monde », souligne Jean-Michel Maldamé, théologien dominicain membre de l’Académie Internationale des Sciences Religieuses. Il nous rappelle également que les définitions du miracle ont évolué avec l’histoire de la pensée. Pour Saint Augustin, le miracle est « ce qui retient l’attention par son aspect merveilleux ». Dans le domaine du merveilleux, c’est la frontière entre ce qui relève de la nature et du surnaturel qui va devenir la question essentielle. Alors que dans l’Ancien Testament, la création elle-même est un miracle, l’influence d’Aristote s’impose à la société médiévale autour de la notion de causalité. Dieu est la « cause première » des « causes secondes » qui définissent elles-mêmes un « ordre naturel ». Ainsi le démarquage s’opère peu à peu entre « les miracles, qui ont un caractère surnaturel révélé, et les merveilles aux caractéristiques limitées à la sphère du naturel »[1] . Thomas d’Aquin propose ainsi : « Un fait est miraculeux quand il dépasse l’ordre de toute la nature créée. Seul Dieu peut agir ainsi. » Si le miracle est divin, la merveille peut relever du magique, et donc du diabolique. On distingue alors le surnaturel, qui échappe à l’ordre des causes naturelles et le préternaturel, qui est au-delà du cours de la nature et concerne le merveilleux. Puis l’opposition entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel va se radicaliser, faisant du miracle non plus une simple exception aux lois de la nature, mais « ce qui va à l’encontre de ces lois ». Selon Jean-Michel Maldamé, cette notion a conduit « au conflit entre christianisme et culture scientifique, qui demeure encore aujourd’hui. » Ainsi, pour le naturaliste du XVIIIe siècle Buffon, puisque « rien ne caractérise mieux le miracle que l’impossibilité d’en expliquer l’effet par des causes naturelles », alors « si les lois de la nature sont nécessaires, le miracle est impossible ».

[1] Stéphane Gumpper, Dictionnaire de psychologie et de psychopathologie des religions (Bayard, 2013)
 

La fin des certitudes
En tant que catégorie théologique, le miracle ne peut donc être reconnu que par une autorité religieuse, sans quoi il reste un prodige. En dépit des progrès scientifiques, les miracles continuent d’être acceptés par de nombreux croyants comme autant de preuves, ou de signes, de l’existence de Dieu. Faut-il y voir une forme de superstition ou la résistance à un certain « désenchantement » du monde ? C’est que les frontières du savoir ne cessent de changer, et les progrès de la connaissance au XXe siècle notamment ont finalement conduit à une « fin des certitudes », comme l’a théorisé le chimiste Ilya Prigogine, prix Nobel en 1977. Plus la science en connaît sur le monde, et plus elle constate qu’il lui en reste à connaître, à l’instar des conceptions récentes en cosmologie qui nous expliquent sans trop s’en vanter que la matière visible ne constitue de 4 % de l’univers, quand le reste serait constitué à 24 % d’une mystérieuse « matière noire » et d’une non moins étrange « énergie sombre » pour 72 %. La physique quantique de son côté donne raison à Kant en expliquant que le « réel en soi » nous échappe et que nous n’accédons qu’à l’information que nous pouvons extraire sur notre relation aux objets quantiques. La notion de conscience elle-même est essentielle à cette relation et constitue pour les neurosciences contemporaines le « problème difficile », selon le philosophe David Chalmers. Ainsi, plus nous en savons, moins nous en savons, et le miraculeux peut continuer d’exister dans cet espace. On peut tout aussi bien, comme le fait le « matérialisme de promesse », estimer que les progrès scientifiques finiront par l’évacuer pour de bon, reléguant le « surnaturel » à notre ignorance de la veille. Ou alors ces progrès donneront-ils raison à Jésus qui affirmait que la foi en le Père autorisait tout un chacun à faire des miracles, guérisons ou autre déplacements de montagnes. Comme Einstein ou Voltaire, on verrait alors que le miracle est partout ou bien il n’est nulle part. 
 

« La science est tenace et modeste »
Après la période de « psychiatrisation » des miracles au XIXe siècle, sous l’influence de Charcot et de l’école de la Salpêtrière, la notion de signe est revenue en grâce. Le philosophe Maurice Blondel « retrouve le sens littéral de la Bible qui présente le miracle comme le signe d’une action gratuite de Dieu », explique Jean-Michel Maldamé. Un acte de puissance et d’amour qui remplit une fonction et relève du discernement. Bien que le matérialisme reste la conception dominante, la rupture de la science avec le paradigme déterministe l’amène aujourd’hui à plus d’humilité. « La science est tenace et modeste, affirmait le prix Nobel de médecine Luc Montagnier lors d’un colloque à Lourdes en juin 2012. Modeste car nous n’avons pas la vérité, mais nous progressons de façon asymptotique vers la connaissance. » Ses recherches potentiellement révolutionnaires sur la nature de l’eau l’ont amené à proposer que celle-ci puisse jouer un rôle primordial dans les guérisons de Lourdes. L’eau garde en effet la trace, « sous forme de nanostructures capable d’émettre un signal électromagnétique », de substances dont il ne subsiste plus la moindre molécule. Pour l’immunologiste nord-américaine Esther Sternberg, c’est le lieu lui-même qui serait guérisseur. « Les études montrent qu’une simple vue sur les arbres depuis une chambre d’hôpital active la guérison, explique-t-elle lors du même colloque. Alors imaginez ce que peut faire un endroit comme Lourdes… »
Reconnaissant que les tableaux cliniques sont aujourd’hui « plus subtils (que les miracles évangéliques), plus proches de signes en effet», le Pr Marie-Christine Mouren (pédopsychiatre) estime que « ces faits nous mettent à l’épreuve. » Pour le Pr François-Bernard Michel, nommé en 2013 président de l’Académie de médecine, « les guérisons sont des signes du verbe, de la parole de Dieu. » Lors du colloque de Lourdes, il a proposé la création d’une université réunissant une fois par an les scientifiques intéressés pour réfléchir à la guérison et au miracle, « une perspective ambitieuse mais pas irréalisable », selon lui.

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