L’histoire de la cible qui repeint son plafond
Il est intéressant de se replonger dans la genèse de l’étude AWARE, car cette publication était très attendue par tous ceux qui s’intéressent à ce sujet, lequel n’est pas « morbide », contrairement à certaines réactions entendue à la radio, mais riche d’un sens éminemment important pour l’avenir de nos sociétés, justement. A l’origine, les chercheurs sont partis de l’hypothèse que les personnes faisant un arrêt cardiaque en service de réanimation seraient capables de voir la scène depuis un point de vue élevé et ainsi de percevoir une image qui serait fixée au plafond, décalée d’une dizaine de centimètres par rapport à ce plafond et donc visible seulement du dessus. La première étude pilote à l’hôpital de Southampton a dû être interrompue parce que la curiosité l’avait emportée chez certains soignants qui étaient allés regarder ce qui se trouvait sur ces dalles qui pendaient du plafond et étaient prétendument destinées à recueillir la poussière pour une étude sur l’hygiène à l’hôpital ! Pour que l’étude soit valide, il fallait en effet que personne ne sache quelle image se trouvait où, tout en les remplaçant régulièrement. Sam Parnia n’a pas abandonné pour autant et a lancé en 2008 une vaste étude regroupant une quinzaine d’hôpitaux en Europe et en Amérique du Nord pour recueillir les témoignages de personnes réanimées après un arrêt cardiaque. Dans les services concernés, des objets ou images « cibles » étaient disposées en hauteur selon différentes modalités mais toujours avec l’idée que ces cibles ne soient visibles que du dessus.
L’article présente les données issues de quatre années d’étude, mais celle-ci se poursuit dans les mêmes établissements. Au chapitre des résultats, on peut légitimement éprouver une certaine déception. Aucune cible n’a en effet été perçue par les patients recrutés dans l’étude, sur un échantillon initial de 2060 patients ayant connu un arrêt cardiaque, dont 330 ont été réanimés et 140 ont pu être interrogés une première fois puis 101 une seconde fois. Au sein de cet échantillon, l’article fait mention de 39 % de personnes qui rapportent des souvenirs d’un état de conscience plus ou moins précis de la période correspondant à l’arrêt cardiaque. Mais le contenu de ces souvenirs est beaucoup plus large que ce qui est traditionnellement associé à l’Expérience de Mort Imminente (EMI), et les thèmes mentionnés manquent de précision : sentiments de peur et de persécution, perception d’animaux et de plantes, perception d’une lumière brillante, famille, sentiments de déjà-vu. Un sous-ensemble de 9 % de patients rapporte cependant des souvenirs correspondant à une EMI, précise l’article, dont 2 % décrivent des perceptions compatibles avec la sortie du corps, à savoir le fait de voir et/ou d’entendre des événements liés à la réanimation. Un seul cas est mentionné comme relevant d’une perception d’éléments vérifiés a posteriori lors d’une période où le cerveau était supposé ne pas fonctionner. Ce cas validé comme « expérience hors du corps » repose notamment sur l’utilisation de stimuli auditifs pendant l’arrêt cardiaque, qui n’étaient autres que les bips émis par le défibrillateur. Des études précédentes ont en effet montré que l’électroencéphalogramme devient plat vingt à trente secondes après un arrêt cardiaque, c’est-à-dire que l’activité du cortex cérébral cesse. Or, les fonctions cognitives supérieures telles que la vision ou l’audition et la mémoire sont associées au fonctionnement du cortex. Le cas retenu répond donc à toutes les exigences de rigueur permettant d’affirmer que le patient n’était pas capable de perceptions ni de mémorisation. L’article scientifique donne pourtant des détails de son témoignage. Il s’agit d’un travailleur social de Southampton âgé de 57 ans. Dans un premier temps, celui-ci décrit ses souvenirs conscients, avant l’arrêt cardiaque. Puis survient ce qu’il décrit comme un black-out, une perte de conscience. « Pourtant, je me souviens très bien d’une voix automatisée disant « choquez le patient, choquez le patient », et que, dans [le] coin de la salle il y avait une [femme] qui me faisait signe. Je me rappelle avoir pensé en moi-même « je ne peux pas aller là-bas »… Elle me fait signe… Je sentais qu’elle me connaissait, je sentais que je pouvais lui faire confiance, et je sentais qu’elle était là pour une raison, et je ne savais pas ce que c’était. La seconde suivante, j’étais là, me regardant « d’en haut ». Il y avait l’infirmière, et un autre homme qui avait une tête chauve. Je ne pouvais pas voir son visage, mais je pouvais voir l’arrière de son corps. C’était un gars trapu… Il avait des habits bleus, et un chapeau bleu, mais je peux dire qu’il était chauve, du fait de l’endroit où était positionné son chapeau. » Le patient s’est alors réveillé. Il explique avoir reçu le lendemain la visite d’un médecin qu’il a identifié comme « l’homme chauve ». Au cours d’un second entretien, il précise : « Au début, je pense, j’ai entendu l’infirmière dire « composer le 444, arrêt cardiaque ». (…) J’étais au plafond, et regardais vers le bas. (…) J’ai vu ma tension artérielle prise alors que le médecin mettait quelque chose dans ma gorge. J’ai vu une infirmière [appuyer sur mon sternum]. J’ai vu que l’on prenait [mon taux de glucose]. »