Le Dieu inconscient
Celles-ci seraient d’ailleurs largement dominantes dans nos sociétés modernes sécularisées. « Si tant de personnes souffrent, écrit Georges Sarfati, c’est bien souvent moins parce qu’elles sont frustrées d’une ou de certaines formes de plaisir, ou parce qu’elles n’occupent pas la place au soleil qu’elles pensent leur revenir, que parce que leur quête du sens est résolument empêchée, recouverte par les conditionnements, et par conséquent méconnue et inexprimée. » Ainsi, le « vide existentiel » éprouvé par l’humanité après Auschwitz et Hiroshima est selon Frankl à l’origine de nouveaux maux : dépressions, phobies, schizophrénies, psychoses d’un nouveau type, addictions, etc. Une situation de perte de sens qui nourrit de son point de vue une véritable « névrose collective ». Si la quête de sens est empêchée, méconnue et inexprimée, c’est parce que l’homme renferme un « Dieu inconscient », qui se manifeste en particulier à travers le « dilemme moral » et le sentiment de transcendance. Cette « religiosité » structure la psyché et son refoulement est « un facteur majeur de souffrance psychique », selon Frankl. Ainsi, l’homme irréligieux n’est pas l’athée mais celui qui « méconnaît la transcendance de la conscience », et la liberté de l’homme réside dans le fait d’écouter sa conscience ou de l’ignorer. Lorsqu’un journaliste américain demanda à Frankl si une religion universelle se dessinait, celui-ci répondit : « Au contraire, nous allons bien plutôt vers une religion personnelle, vers une religiosité plus profondément personnalisée, une religion à partir de laquelle chacun trouvera son propre langage, sa langue la plus intime quand il s’adresse à Dieu ». Il s’agit donc bien d’une forme de spiritualité qui s’affranchirait du cadre dogmatique des religions.
Enfin, Georges Sarfati nous rappelle opportunément que Frankl est également à l’origine de ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler les « soins palliatifs » et l’accompagnement des personnes en fin de vie. Il a en effet théorisé dès avant-guerre cette éthique de la relation sous le nom de « ministère médical ».