Viktor Emil Frankl : Quête de Sens et Dieu Inconscient

En ces temps troublés où les ténèbres menacent, un éclaireur du XXe siècle est certainement à redécouvrir. Son apport est resté dans l’ombre imposante de Freud, mais le réductionnisme nourri par ce dernier a conforté le matérialisme et le nihilisme de l’époque, laissant nos contemporains largement perdus et désemparés.


Viktor Emil Frankl : Quête de Sens et Dieu Inconscient
Tout comme Jung, autre disciple puis dissident de Freud, Viktor Frankl (1905 – 1997) a refusé de suivre le maître dans sa catégorisation de la religion et de toute forme de spiritualité au rang d’une « illusion » et même d’une pathologie. Le mot clé de l’œuvre de Frankl est le « sens », et n’est-ce pas ce qui fait tant défaut aujourd’hui encore et plus que jamais ?
 
Sens ou vide existentiel ?
« Je parle de “recherche d’un sens à la vie” par opposition au principe de plaisir sur lequel est fondée la psychanalyse freudienne, ainsi qu’à la volonté de puissance qui est au centre de la psychologie adlérienne », expliquait Frankl. Le jeune psychiatre et philosophe va ainsi rapidement s’écarter des trois écoles de Vienne (Freud, Adler et Jung) pour fonder sa propre voie : la logothérapie, ou thérapie par le sens. Victime des lois raciales de Nuremberg, déporté à Auschwitz, il en réchappe et publie en 1945 un manuscrit rédigé avant sa déportation, perdu puis reconstitué de mémoire, « The doctor and the soul » (Le docteur et l’âme), dans lequel il donne une formulation théorique aboutie à ses expériences. Suivra « Man’s search for meaning » (La recherche du sens par l’homme) qui s’appuie spécifiquement sur son expérience d’Auschwitz.
En logothérapie, la recherche du sens à donner à sa vie l’emporte sur les pulsions (le « ça » freudien) mises en avant par la psychanalyse traditionnelle. Chacun doit trouver une raison unique et singulière d’exister, seule à même de combler l’exigence existentielle et spirituelle de l’âme humaine. A défaut, l’individu connaît une frustration (ou vide) existentielle. « Le vide existentiel peut prendre plusieurs aspects, explique Frankl. La recherche d’un sens à la vie est parfois remplacée par la recherche du pouvoir, incluant sa forme la plus primitive, soit le désir de gagner toujours plus d’argent. Dans d’autres cas, c’est la recherche du plaisir qui y est substituée. C’est pourquoi la personne qui souffre de frustration existentielle essaie parfois de compenser le vide qu’elle éprouve en recherchant les plaisirs sexuels. » Argent, pouvoir et sexe…, une trinité qui reste un horizon indépassable pour tant de représentants de nos « élites », majoritairement masculins bien entendu. 
 

L’amour comme lien universel
Pourtant, il est possible de donner du sens à son existence en s’appuyant sur une autre trinité, selon Frankl : amour, art et humour. A la suite de Thomas d’Aquin, Frankl estime en effet que l’amour est le véritable lien qui nous unit les uns aux autres. On parlerait aujourd’hui d’une « énergie », quelque chose qui ne relève pas seulement de la vie psychique et émotionnelle mais qui renferme un authentique pouvoir de transformation. Quant à l’humour, face à une situation qu’il nous est impossible de changer, il permet de modifier le regard que l’on porte sur elle et peut ainsi constituer une formidable parade contre le désespoir. A ne pas confondre avec le cynisme qu’ont là aussi adopté tant de nos contemporains face à l’absurdité apparente (l’absence de sens) du monde. Car l’humour dont parle Frankl relève d’une capacité d’auto-distanciation qui est constitutive de la nature humaine, laquelle est fondamentalement spirituelle. En effet, l’inconscient ne contient pas que de l’instinctif, mais aussi du spirituel, estime-t-il et « l’interrogation religieuse est au centre de sa réflexion » souligne Georges-Elia Sarfati, qui a traduit Frankl en français. L’entité complexe que constitue le sujet humain se compose ainsi de trois strates : somatique (physique), psychique et noétique (spirituelle). Intégrant l’apport de Freud, Frankl reconnaît l’existence de névroses somatogènes (d’origine physique) et de névroses psychogènes, mais il ajoute un troisième groupe : les névroses « noogènes », consécutives à la frustration du principe de sens. 
 

Le Dieu inconscient
Celles-ci seraient d’ailleurs largement dominantes dans nos sociétés modernes sécularisées. « Si tant de personnes souffrent, écrit Georges Sarfati, c’est bien souvent moins parce qu’elles sont frustrées d’une ou de certaines formes de plaisir, ou parce qu’elles n’occupent pas la place au soleil qu’elles pensent leur revenir, que parce que leur quête du sens est résolument empêchée, recouverte par les conditionnements, et par conséquent méconnue et inexprimée. » Ainsi, le « vide existentiel » éprouvé par l’humanité après Auschwitz et Hiroshima est selon Frankl à l’origine de nouveaux maux : dépressions, phobies, schizophrénies, psychoses d’un nouveau type, addictions, etc. Une situation de perte de sens qui nourrit de son point de vue une véritable « névrose collective ». Si la quête de sens est empêchée, méconnue et inexprimée, c’est parce que l’homme renferme un « Dieu inconscient », qui se manifeste en particulier à travers le « dilemme moral » et le sentiment de transcendance. Cette « religiosité » structure la psyché et son refoulement est « un facteur majeur de souffrance psychique », selon Frankl. Ainsi, l’homme irréligieux n’est pas l’athée mais celui qui « méconnaît la transcendance de la conscience », et la liberté de l’homme réside dans le fait d’écouter sa conscience ou de l’ignorer. Lorsqu’un journaliste américain demanda à Frankl si une religion universelle se dessinait, celui-ci répondit : « Au contraire, nous allons bien plutôt vers une religion personnelle, vers une religiosité plus profondément personnalisée, une religion à partir de laquelle chacun trouvera son propre langage, sa langue la plus intime quand il s’adresse à Dieu ». Il s’agit donc bien d’une forme de spiritualité qui s’affranchirait du cadre dogmatique des religions.
Enfin, Georges Sarfati nous rappelle opportunément que Frankl est également à l’origine de ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler les « soins palliatifs » et l’accompagnement des personnes en fin de vie. Il a en effet théorisé dès avant-guerre cette éthique de la relation sous le nom de « ministère médical ».

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