Le vieux paradigme s’accroche aux branches

Une recette du Xe siècle à base d’ail a permis de vaincre des bactéries résistantes aux antibiotiques. Deux livres récents prétendent expliquer la conscience à partir du cerveau. Des librairies chrétiennes retirent des récits d’expérience de mort imminente de leurs rayons… Quel rapport ? Ces événements parmi d’autres illustrent la façon dont le vieux paradigme s’accroche aux branches, et dont l’arrogance de ses tenants révèle leur nervosité.


Le vieux paradigme s’accroche aux branches
L’information est passée relativement inaperçue mais on a appris il y a quelques semaines qu’une vieille recette issue d’un livre de médecine du Xe siècle avait permis de venir à bout de bactéries résistantes à tous les antibiotiques. Les chercheurs de l’Université de Nottingham en Angleterre ont présenté ces travaux lors du congrès annuel de la Society for General Biology. La recette est simple : prenez de l’ail et un oignon ou un poireau, ajoutez du vin et de la bile de vache, faites macérer dans une cuve en laiton, purifiez et laissez reposer. Les choses deviennent encore plus intéressantes lorsqu’on apprend qu’aucun des ingrédients testé individuellement n’a montré d’activité antibactérienne. C’est donc la combinaison de ces éléments, y compris le cuivre provenant de la cuve en laiton, qui est étonnamment efficace et les chercheurs s’interrogent sur la façon dont cette combinaison fait émerger ce pouvoir bactéricide. Une solution trop claire n’est pas aussi efficace mais elle empêche tout de même la communication entre les bactéries, ce qui limite leur pouvoir de nuisance. Testée sur des plaies de rongeurs à l’Université du Texas, la solution a éradiqué 90 % des staphylocoques dorés présents et a fait mieux que les antibiotiques conventionnels, a reconnu le Dr Kendra Rumbaugh.
 

Leçon d’humilité
N’est-ce pas là une formidable leçon d’humilité pour une science médicale trop souvent arrogante et sûre d’elle, et dont de graves erreurs d’appréciation sont précisément à l’origine de la prolifération des bactéries multirésistantes ? Cette action de la mixture par potentialisation de l’effet des ingrédients individuels n’est pas sans rappeler la préparation, selon une autre pharmacopée traditionnelle, du breuvage utilisé par les chamanes amérindiens, l’ayahuasca. Dans ce mélange également, plusieurs plantes voient leurs effets potentialisés alors que des effets indésirables sont mutuellement annihilés. Comment les chamanes ont-ils découvert ce subtil équilibre ? Non pas par la méthode d’essais et erreurs, comme l’a montré l’anthropologue Jeremy Narby, mais en écoutant le message des plantes transmises par les visions qu’elles provoquent. Irrecevable pour le paradigme matérialiste, mais la pharmacopée du moyen-âge anglais, telle que décrite dans le livre The Bald’s Leechbook d’où est extraite la recette dont il est question ci-dessus, mêlait certainement médecine, sorcellerie et alchimie, de sorte qu’on peut imaginer que le mélange antibactérien n’ait pas lui non plus été découvert par un processus d’essais et erreurs. Quoi qu’il en soit, c’est l’éternel recommencement pour une industrie pharmaceutique en panne d’innovation et qui cherche son salut – c’est-à-dire le maintien de ses marges de profit – dans les pharmacopées traditionnelles, quitte à les « piller », autant que du côté des ultramodernes biotechnologies. Il se trouve qu’avant même cette découverte issue d’un lointain passé, les antibiotiques les plus efficaces de nos jours sont les premiers mis sur le marché il y a bien longtemps… pas très rentable. 
 

Le b.a.-ba des neurosciences
Ce paradigme matérialiste a sérieusement du plomb dans l’aile mais comment s’étonner de la fuite en avant de ses thuriféraires ? Le « matérialisme de promesse » – qui prétend que ce qui n’est pas expliqué par le modèle matérialiste aujourd’hui le sera forcément demain – a toutes les apparences d’un rattrapage aux branches. A cet égard, l’ouvrage du neurologue Stanislas Dehaene, Le Code de la conscience, est tout à fait éclairant. Du temps où l’auteur faisait sa thèse, qui n’est pas si lointain, lui et ses collègues neuroscientifiques sortaient leur revolver quand ils entendaient le mot « conscience ». Trente ans plus tard, c’est le contraire et la conscience est devenue le graal des neurosciences. C’est peu dire que le contexte intellectuel français, marqué par à la fois par le rationalisme et le cartésianisme, a fait prendre du retard à cette réflexion et cette recherche, mais celle-ci reste de toute façon « orientée » dans la mesure où un lourd présupposé pèse sur l’approche : la conscience est le résultat de l’activité du cerveau. Malgré lui, l’auteur semble pourtant accréditer une vision chère aux « spiritualistes », celle que la conscience a tout d’un « simulateur de réalité virtuelle », qui assure à chaque instant la cohérence de nos expériences subjectives. Autrement dit, la réalité est reconstruite dans le cerveau à partir de ce que nous percevons, ce qui est reconnu depuis longtemps, mais jusqu’à quel point la réalité « non reconstruite » diffère-t-elle de celle que nous croyons percevoir ? Là est la véritable question. L’ouvrage de Stanislas Dehaene se contente de nous démontrer à nouveau que la conscience peut être trompée en citant par exemple une illusion appelé effet McGurk. On voit sur un écran une personne parler et on entend le son « da da da », mais si l’on ferme les yeux, on entend alors « ba ba ba ». En fait, la bouche articule « ga ga ga » et c’est pourquoi nous entendons « da da da » alors que le vrai son est « ba ba ba »… ! Fascinant, n’est-il ? Mais l’expérience en dit bien plus que le fait que nous résolvions la contradiction en entendant un autre son que celui véritablement perçu par l’oreille. Elle nous dit avant tout que ces recherches en sont bien au b.a.-ba de la conscience ! Avec tout le respect dû à ces chercheurs et aux progrès déjà accomplis, nous sommes loin de commencer à comprendre ce qu’est la conscience parce que c’est une question philosophique extrêmement complexe, et pas seulement un problème neurologique. Par conséquent, tout va bien tant que ces mêmes personnes ne prétendent pas que ce modèle et ce paradigme matérialistes sont tellement justes et performants que nous serons un jour capable de doter les machines de conscience. Pourtant, c’est ce que fait Stanislas Dehaene qui oublie la nécessaire humilité du scientifique devant le mystère de l’existence pour exhiber son triomphalisme au nom d’une discipline qui est pourtant encore jeune et dont il reconnaît lui-même qu’elle vient à peine de se saisir du problème ! Péché d’hubris, car aller jusqu’à nier que la question de la conscience relève d’un « mystère philosophique » n’est pas seulement une marque d’arrogance mais une grave faute scientifique et épistémologique.
 

Nécessaires corrélats neurologiques
Cette vision matérialiste transhumaniste (qui annonce la fusion de l’homme et de la machine et même le dépassement du premier par la seconde) est un point d’achoppement irréconciliable avec ceux qui au contraire prédisent l’avènement d’un paradigme de la conscience en tant que réalité première. La science, la raison tranchera, mais sera pour cela obligée de reconnaître qu’elle est dépassée, que la partie ne peut pas comprendre/saisir le tout. La conscience est bien plus vaste que la raison, que la seule conscience analytique et réflexive, et elle est le socle de toute notre expérience de la réalité, dans le monde physique matériel mais pas seulement : à travers tous nos états de conscience. Le rattrapage aux branches des scientifiques matérialistes est illustré encore davantage par le livre d’un autre neurologue, le Belge Steven Laureys, qui a publié de son côté Un si brillant cerveau : Les états limites de conscience. Il s’agit là de tenter de rendre compte, toujours dans le cadre matérialiste, d’expériences de différentes natures : la conscience de veille, le sommeil, l’expérience de mort imminente, le locked-in syndrome, etc. Grand spécialiste des états comateux, directeur du Coma Science Group de Liège, Steven Laureys est lui aussi péremptoire : tous ces états ont des corrélats neurologiques, c’est-à-dire qu’ils correspondent à une activité spécifique du cerveau, avec la proposition implicite qui transforme corrélation en causalité : ces états – de conscience – sont provoqués par ces activités – de neurones.
Dans le seul cas de l’expérience de mort imminente, cette proposition ignore de nombreuses données issues de milliers de témoignages : les perceptions impossibles dans l’environnement physique, les rencontres avec des proches décédés dont l’existence était inconnue, le sentiment de réalité plus fort qu’à l’état de veille, celui de retrouver une réalité familière, les capacités acquises, le sens profond de l’expérience, les transformations induites, la valeur spirituelle… Elle ignore aussi les cas les plus extrêmes dans lesquelles l’activité du cerveau était nulle ou quasi nulle, et cependant assortie d’une conscience aux capacités décuplées, et non « altérées ». L’ignorance volontaire de ces aspects – ou même la promesse d’en rendre compte par le seul fonctionnement cérébral – est une arrogance et une violence faite aux témoins convaincus du sens spirituel de leur vécu. Ces arrogances marquent la nervosité de ceux qui continuent à défendre un paradigme scientifique exclusivement matérialiste parce qu’ils préfèrent perdre leur âme plutôt que la face.
 

Pas de « récits du paradis »
Un autre courant de pensée se renforce heureusement aujourd’hui et prend le contrepied du modèle matérialiste. Le renversement de perspective est simple mais vertigineux : ce n’est pas la conscience qui naît de la matière mais l’inverse. Ce n’est pas « je pense, donc je suis », mais « je suis, donc je pense ». Il y a des états de conscience « en amont » de la pensée, atteint par la méditation, explorés et codifiés non pas au Xe siècle en Angleterre, mais il y a plus de 3000 ans en Inde. Quand la science aura bouclé cette boucle-là, l’humanité aura réellement fait un pas. Les soubresauts du vieux paradigme sont enfin illustrés par une autre actualité récente, et qui concerne cette fois-ci le domaine religieux. La chaîne de librairies chrétiennes LifeWay aux Etats-Unis a décidé de cesser de vendre tous les récits « du paradis » tels que rapportés par des témoins d’expérience de mort imminente. La raison ? Deux au moins des best-sellers récents seraient des affabulations : The boy who came back from heaven  (le garçon qui est revenu du paradis), par Kevin et Alex Malarkey, et 90 minutes in heaven  (90 minutes au paradis), de Don Piper. L’éditeur du premier, Tyndale House, a même retiré l’ouvrage de la vente. Plusieurs dizaines de livres de ce genre sortent aux Etats-Unis chaque année, et les clients des librairies LifeWay ont manifesté leur mécontentement face à une mesure aussi radicale. Le malaise créé par cette décision est cependant renforcé par le message explicite qui l’accompagne : lisez plutôt les écritures saintes !
Si l’on peut se réjouir que des mensonges soient finalement dévoilés, il faut bien reconnaître que l’incitation à mentir sur ces sujets comme sur d’autres vient d’une quête de valeurs strictement matérialistes : succès, richesse, pouvoir… Observons surtout que dans le vieux paradigme, certaines religions sont elles-mêmes des pouvoirs qui luttent pour leur maintien et leur renforcement. Ceux pour qui cette lutte est la finalité, et qui se sont perdus dans un matérialisme spirituel, s’accrochent également aux branches. Car c’est la notion même de pouvoir qui est mise à bas par le nouveau paradigme, là où le transhumanisme nous annonce au contraire un futur à la Terminator. Le fait est que nous avons encore le choix.

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