La mort est-elle une frontière ?

Comment passe-t-on de vie à trépas ? Un seul souffle fait la différence mais que sait-on vraiment de cette transition qui n’est peut-être pas une fin ? L’étude des comas mais aussi les témoignages de ceux qui ont frôlé la mort sont éclairants, et la mort ressemble davantage à un « processus » qu’à un instant.

experience mort imminente-couv

Autrefois, le croque-mort s’assurait que la vie avait bien quitté un corps en mordant délibérément l’orteil du présumé défunt afin de constater l’absence de réaction (en fait, c’est un mythe). Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les choses n’ont guère changé de nos jours. Certes, la technique et les connaissances ont fait des progrès fantastiques, mais l’incertitude sur ce qu’est la mort et surtout l’instant de la mort reste grande. La mort est l’arrêt irréversible des fonctions critiques de l’organisme : fonctions cardiaque, respiratoire et cérébrale. Mais cet arrêt irréversible dépend lui-même de nos capacités de réanimation, lesquelles progressent constamment. On « ramène » aujourd’hui à la vie des personnes qui seraient mortes il y a encore vingt ou trente ans. Les grands progrès de la réanimation moderne ont été accomplis dans les années 1970 et comme par hasard, on s’est mis aussi à recueillir de plus en plus de témoignages d’Expérience de Mort Imminente (EMI) à cette époque. Ces témoignages continuent d’affluer et ils ont beaucoup de choses à nous apprendre sur la nature de la conscience et peut-être aussi sur la mort, car les témoins d’EMI pensent l’avoir approchée, de très près, au point qu’ils n’en ont plus peur.

Qu’est-ce que la mort en médecine ?

La science médicale distingue plusieurs états et d’abord les notions de mort clinique et de mort cérébrale. On parle de mort clinique, c’est-à-dire de mort apparente, pour un patient dont le cœur a cessé de battre et qui ne respire plus. Dans cet état, l’électroencéphalogramme (EEG) du patient devient plat en une vingtaine de secondes. Mais cet état est réversible si des manœuvres de réanimation cardio-respiratoire sont entreprises, car le cerveau continue d’être suffisamment irrigué pour ne pas subir de lésions irréversibles. En revanche, si cet état se prolonge et que la fonction cœur-poumon n’est pas rétablie, le cerveau va cesser d’être irrigué et évoluer vers l’état de mort cérébrale, irréversible. C’est l’état dans lequel le don d’organes est envisagé. Le diagnostic de mort cérébrale n’est toutefois pas posé en cas d’hypothermie ou d’intoxication par certaines substances, qui peuvent plonger le cerveau dans un état de mort cérébrale apparente, au vu notamment de l’absence de réflexes du tronc cérébral. Dans ces situations le métabolisme est ralenti et le cerveau souffre moins du manque d’oxygène et de glucose. Les fonctions peuvent donc être récupérées alors que la perte de conscience a duré plus longtemps qu’en conditions normales. La formule de « coma dépassé » était autrefois employée pour désigner la mort cérébrale alors que les autres fonctions sont maintenues artificiellement.

Aussi mort que nécessaire

Le Code de Santé Publique précise les critères de la « mort encéphalique » (équivalente à la mort cérébrale) : l’absence d’activité consciente et motrice, l’abolition des réflexes du tronc cérébral, l’abolition de la ventilation spontanée. Pour établir le diagnostic, il faut ajouter deux EEG plats pendant trente minutes réalisés à quatre heures d’intervalle en conditions normales de température. Il est possible de réaliser des examens complémentaires : épreuve d’hypercapnie, potentiels évoqués, angio-scanner, angio-IRM. On a critiqué l’évolution de la définition légale de la mort depuis les années 1960 en France comme destinée à favoriser le don d’organes. Un donneur d’organes doit être « aussi mort que nécessaire et aussi vivant que possible », selon une formule anglo-saxonne, ce qui souligne bien le caractère fluctuant de l’état en question. En outre, la classification des comas s’est affinée, avec notamment les travaux du Coma Science Group de Liège. On parle de coma après un traumatisme ou une pathologie quand un patient n’ouvre pas les yeux, ne répond pas aux stimulations, n’interagit pas, etc., mais au-delà de quatre semaines, les spécialistes parlent d’état neurovégétatif. Dans cet état, l’ouverture des yeux et les mouvements oculaires sont possibles, mais sans interaction. Il est ensuite question d’état végétatif permanent après trois mois en cas de lésion cérébrale non traumatique, et douze mois en cas de lésion traumatique. Mais on distingue encore l’état végétatif permanent de l’état de conscience minimale, ou état pauci-relationnel. Cette distinction est majeure en raison des implications en termes de pronostic et de décisions thérapeutiques. L’état de conscience minimale suppose quelques interactions bien identifiées. Enfin, le locked-in syndrome concerne des personnes dont l’état de conscience est normal mais qui sont incapables de bouger.

Empêché d’interagir ?

En effet la capacité d’interagir n’est pas révélatrice de l’état de conscience, car toute interaction peut être empêchée. Les études neurologiques montrent qu’une personne en état végétatif peut effectuer des tâches conscientes, comme imaginer une action. Ce résultat va être utilisé pour la rééducation de patients qui sortent progressivement d’un tel état. Mais nous parlons d’état végétatif ou de conscience minimale seulement par rapport à la capacité des personnes d’interagir avec leur environnement. En réalité, on ne sait rien, de l’extérieur, de ce qui se passe dans la tête, et encore moins hors de la tête, de ces personnes. De fait, bien des témoins revenus du coma ont expliqué qu’ils voyaient et entendaient lors de certaines scènes précises, qu’il fallait communiquer avec eux, etc. L’état de conscience quel qu’il soit n’est pas accessible à celui qui ne le vit pas à la première personne. C’est pourquoi les EMI fascinent depuis toujours – des récits remontent à l’Antiquité – et ont obtenu un regain d’intérêt ces dernières années du fait de la multiplication, et de la cohérence, des témoignages. L’EMI est en effet à la fois une expérience unique et universelle. Le fond symbolique, l’importance du sens, les archétypes comme la lumière, l’amour, sont autant d’éléments communs à toutes les expériences, sans même parler des sensations de sortie du corps, de la traversée d’un tunnel, de la présence bienveillante, de la revue de vie, etc. C’est du côté du sens qu’il faut chercher la clé de ces expériences, car le fond commun est teinté d’éléments hautement personnels et culturels qui donnent à chaque expérience son caractère éminemment unique, et initiatique.

Revenus de la mort ?

La question de savoir si les témoins d’EMI sont revenus de la mort reste ouverte. Selon le Dr Jean-Jacques Charbonier, c’est bien le cas, et il parle d’Expériences de Mort Provisoire dans ses propres écrits et conférences. La mort clinique équivaut à l’arrêt du fonctionnement cérébral, et l’état n’est réversible que si des manœuvres de réanimation sont pratiquées très rapidement. L’EEG devient plat en quelques dizaines de secondes, ce qui signifie qu’il n’y a plus de fonctionnement cérébral au moins en surface, au niveau du cortex, qui est responsable des fonctions supérieures de cognition, perception, mémorisation, etc. Même si une activité cérébrale subsiste dans les couches plus profondes – et « primitives » – du cerveau, elle ne peut rendre compte des expériences extrêmement riches que rapportent les témoins d’EMI. Elle ne peut rendre compte en particulier des perceptions réalisées « hors du corps », dans l’environnement matériel du corps ou même à distance de celui-ci. Pour les témoins eux-mêmes, l’EMI est une expérience de la mort, pour une part, mais surtout une expérience de la vie qui leur semble désormais bien plus vaste, bien plus riche. La plupart pensent qu’ils ont approché la mort et revivront l’expérience au moment de leur véritable mort. Le retour n’est pas forcément simple car le système de valeurs est bouleversé, mais la peur de la mort a le plus souvent disparu. Cependant, il est un fait qui donne une indication sur le lieu ou le temps dans lequel se déroule l’EMI. Beaucoup de témoins rapportent en effet qu’ils ont ressenti la présence d’une frontière à un certain point de l’expérience, un passage infranchissable sous peine de non-retour. Ce « détail » signe que la mort, en tout cas la suite de l’existence, vient après cette limite. L’EMI se déroulerait ainsi dans l’antichambre d’une mort qui elle-même n’est pas la cessation de la conscience même si elle est la fin de la vie biologique.

Hors du temps et de l’espace

Notre mode de pensée binaire nous incite à penser la mort comme un état de non-vie, donc de non-existence, et nous n’envisageons pas qu’il puisse exister un état intermédiaire, comme suspendu, correspondant à l’EMI. On peut parler d’une suspension car l’expérience se déroule hors du temps et de l’espace, comme si le temps se ralentissait à l’extrême pour n’avoir finalement plus cours. La notion d’espace elle-même disparaît car les témoins ont la sensation de ne faire qu’un avec ce qui les entoure, jusqu’à l’univers entier. Ils « sont » l’univers, ils « sont » la connaissance absolue, ils « sont » tout ce qu’ils observent, sans séparation. Une fois la frontière atteinte dans l’expérience, les témoins ont le choix de la franchir ou de revenir, mais ce choix est souvent guidé, orienté, par une présence ou une voix bienveillante. Cette présence leur fait comprendre que la tâche liée à l’incarnation n’est pas terminée, que la vie sur Terre a du sens, qu’il s’agit d’aimer et de servir… Le choix du retour peut être difficile, déchirant même, car l’état de bien-être est total au cours de l’EMI. Mais les témoins reviennent avec cette double certitude : la mort n’est pas une fin, et nous sommes accompagnés à chaque seconde de notre existence par quelqu’un ou quelque chose « qui nous veut du bien ». Le regard sur la mort change du tout au tout, mais c’est surtout la vie elle-même qui est vue sous un nouveau jour. L’expérience est transformatrice parce qu’elle a amené la personne à vivre une véritable initiation, qui a pu passer par l’exploration de zones d’ombres de la psyché avant d’atteindre la lumière. Cette initiation vise à transformer l’être en un ambassadeur d’une autre réalité, mais certains font la confusion et se prennent pour des élus, ce qui est un grave contresens.

La mort comme processus

Depuis quelques années, le médecin britannique et spécialiste des EMI Sam Parnia explique à qui veut l’entendre qu’il est impropre de considérer la mort comme un « instant », car il s’agit plus d’un « processus » qui dépend des tentatives effectuées pour maintenir la vie. Les résultats préliminaires de son étude AWARE ont été publiés à l’automne dernier et ont donné lieu à des interprétations abusives et diamétralement opposées. Les premiers articles de presse ont en effet affirmé qu’il y avait bien « quelque chose » après la mort, alors qu’une deuxième salve nous a assuré qu’une activité cérébrale se poursuivait après l’arrêt cardiaque. En réalité, les conclusions de l’étude AWARE ne disent ni l’un ni l’autre et constatent seulement qu’un « état de conscience » se poursuit plusieurs minutes après l’arrêt cardiaque, et que cet état de conscience n’est très probablement pas causé par une activité cérébrale, précisément parce que l’arrêt cardiaque interrompt le flux sanguin cérébral et que l’activité du cerveau, en surface comme en profondeur, cesse en vingt à trente secondes. Il y a donc persistance d’un état de conscience en l’absence d’activité cérébrale, note Sam Parnia, ce qui questionne le modèle matérialiste selon lequel tout état de conscience est nécessairement provoqué par une activité cérébrale.

La mort comme processus reste donc réversible jusqu’à un certain point, qui est fluctuant et dépend de nos capacités de réanimation, ou « resuscitation » en anglais. Mais si la conscience sort du temps, la notion même « d’instant » n’a plus de sens.

 

Pour aller plus loin… sur ce sujet

Transhumanisme et cryogénisation                                                                  Les transhumanistes pensent que l’humain va fusionner avec la machine et décupler ainsi ses performances physiques et psychiques. Dès 1986, l’institut Foresight est créé en Californie pour étudier et promouvoir la cryogénie. L’idée est que les progrès de la science permettront de redonner vie à des personnes décédées dont le corps a été porté à de très basses températures à des fins de conservation. On peut parler d’un transhumanisme extrémiste qui nie bien sûr toute existence propre de la conscience puisque sa vision est exclusivement matérialiste. Comme l’exprime l’écrivain de science-fiction Alain Damasio : « Non seulement les transhumains voient le corps comme une machine, mais ils le voient comme une mauvaise machine à logique floue, à fiabilité incertaine. Certains le considèrent même comme de la viande, un sac d’os, de chair et de fluides dont il vaudrait mieux pouvoir se débarrasser. »

L’art de mourir                                                                                                                  Le fait que la mort soit un processus et non un instant est illustré par l’accompagnement qui était autrefois prodigué au mourant, que l’on retrouve aussi bien dans l’Ars moriendi (art de bien mourir) moyenâgeux que dans les Livres des Morts tibétain ou égyptien. L’accent était mis en Europe sur les épreuves et les tentations qui se dressent sur le chemin du salut de l’âme. Le livre égyptien insiste sur la nécessité de retrouver l’unité à partir de la dualité. Les bouddhiste tibétains distinguent plusieurs états intermédiaires (bardos) traversés par la conscience. Au moment de la mort, on entre dans le bardo du trépas (chikkhai), avant d’atteindre le bardo lumineux (chonyid), puis le bardo de la renaissance (sidpa). Le défunt est accompagné par des prières et rituels pour l’aider à se libérer du samsara (cycle des incarnations). Les deux traditions parlent de la lumière comme une aube qui se lève et devient resplendissante.

Point de non-retour                                                                                                      Au cours de son EMI, Nicolas se sent accompagné par une présence : « Cette entité m’a emmené dans un autre état de conscience, pour me montrer la véritable frontière, où se situe le point de non retour. Elle m’a emporté et m’a emmené dans cet état de conscience où j’ai pu voir une frontière ultime, et là je voyais d’autres âmes, d’autres entités qui étaient là devant moi. Je pense que c’était peut-être des âmes qui se retrouvaient, peut-être des morts du jour !…, qui étaient là, qui se retrouvaient et qui étaient paisibles. Et l’entité m’a demandé si vraiment je voulais franchir cette frontière, tout en me prévenant que c’était un point de non-retour. Et là…, non, même si c’était beau, que je voyais ces âmes dans cet état d’apaisement, je n’ai pas osé faire ce pas. J’ai voulu rester avec mon « ange », appelons-le comme ça, qui me rassurait. Et quand j’ai accepté cela, cet ange m’a ramené dans un autre état de conscience, la revue de vie… » (extrait de « L’Expérience de Mort Imminente », Jocelin Morisson – éditions de la Martinière, 2015)

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